Avec les maîtres verriers de Murano

Travail du verre à Murano
Tenth eonian initiative par Frédéric Morel (Avril 2020)
Le médium de prédilection de Val était le bronze. Lors de son parcours créatif, elle essaya d’en explorer quelques autres mais revenait toujours à ce matériau.
Outre que le bronze la charmait par son caractère ancestral et immuable, elle disait qu’avec lui ses créations rayonnaient mieux car la patine leur insufflait une vie propre évoluant au fil du temps par son oxydation naturelle.
C’est au cours de l’année 2013 que je commençai à lui parler du verre après avoir vu dans des galeries à Hong Kong des sculptures avec ce médium qui m’avaient beaucoup impressionnées. Val ne fut alors pas vraiment convaincue mais elle en parlât néanmoins informellement avec nos amis Francesco et Ja Brancaccio qui travaillaient de longue date avec les créateurs de verre italiens.
Vers la mi-2015, Val travaillait intensément sur des créations monumentales dans son atelier depuis plus d’une année quand elle me dit qu’elle avait vraiment besoin de recul et de repos. Nous décidâmes alors de faire un voyage à Rome que ni elle ni moi ne connaissions. C’est en préparant celui-ci que nos amis nous proposèrent d’en profiter pour venir les rejoindre à Venise et d’amener Val à l’atelier de maîtres verriers de Murano qu’ils connaissaient.
Avant notre départ pour l’Italie, je leur avais envoyé des catalogues d’exposition du travail de Val ainsi que quelques-uns de ses personnages en bronze. Le chef de famille, Enzo, en avait été enthousiasmé et le jour de notre arrivé sur l’île, il accueillit chaleureusement Val au sein de son atelier lui proposant de revenir dès le lendemain pour l’initier à l’art du verre.
Le spectacle du ballet des cannes de verrier juchées de leurs boules de matière incandescentes allant des fourneaux aux mains expertes du maître et de ses apprentis, déclenchât immédiatement en elle un flot de créativité, une multitude de questions, une vision des possibles et de sculptures en devenir. Elle savait déjà à cet instant qu’elle n’allait pas juste faire des œuvres en verre mais s’accaparer ce nouveau médium pour le faire danser, l’unir, le glorifier avec le bronze. Ce lendemain-là, Val s’avait ce qu’elle allait faire de cette matière qui donnerait une matérialité au vide et ce fut là son trait de génie. [ + ]
Du jour de cette première initiation avec les maîtres verriers de Murano et durant les mois qui suivirent, c’est l’idée essentielle à retenir pour comprendre la vision qu’a eu Val pour s’approprier ce nouveau médium et créer cette collection d’une trentaine de pièces composées de verre et de bronze mais aussi de lumière. Elle écrivit à ce propos : « […] Travaillant à mes sculptures, je ne comprends pas tout ce qu’il se passe mais je perçois qu’il se passe quelque chose, des mondes suggérés, des mondes que l’on pressent parfois mais que nul ne connait. Le verre met en scène une infinité de représentations d’une certaine réalité, rend sa matérialité au vide. […] ». Chez Val, les parties vides sont essentielles car ce sont elles qui créent, par contraste avec les pleines, la rythmique visuelle parfaite qu’elle cherchait à atteindre dans et avec sa sculpture.
Lors de cette première initiation à Murano en Septembre 2015, Val créa seulement quatre pièces en verre dont l’une d’entre-elle se révélera déterminante pour le travail qu’elle réalisa ensuite avec ce nouveau médium.
Elle voulut insérer dans la matière l’un de ses personnages en bronze. La réaction du maître des lieux à cette demande fut presque violente. « Impossibile ! » s’exclamât-il prenant aussitôt Val par la main pour l’emmener dans un coin de l’atelier où se trouvait un amas d’une cinquantaine de boules de verres brisées dans lesquelles étaient insérées des pièces de monnaies. Enzo expliqua alors que le métal avait créé un choc thermique lors du processus de refroidissement et que cela les avait toutes faites éclater.
L’un des principaux traits de caractère de Val était sa persévérance et même son obstination face aux contraintes techniques. Ayant appris que le point de fusion du verre était seulement deux cent degrés plus élevé que celui du bronze, elle suggéra alors qu’en chauffant au rouge son personnage avant de l’insérer dans le verre incandescent, cela éviterait peut-être le choc thermique et elle insista pour faire l’essai. Le maître verrier fut loin d’être convaincu mais fini par accepter. Quand nous revînmes à l’atelier le surlendemain alors que toutes les pièces en verre de Val avaient refroidi, la partie en verre avec son insert de bronze, qui composera ensuite Freedom, était intacte ! Val venait d’inventer de nouveaux possibles pour marier le bronze et le verre.
Avec ces quatre premières pièces, Val créa dans la foulée « ses premières histoires » avec le verre et le bronze mais aussi le fer et surtout la lumière en insérant des lampes LED magnifiant le verre et créant des reflets. Elle commença alors un grand travail de préparation pour sculpter librement avec ce nouveau médium. Ce fût la première fois que je la vis faire des croquis et des maquettes de ses projets de sculptures.
Elle repartit à Murano en Février 2016 chargée de moules, de personnages et d’éléments en bronze et de bases de patine. Elle travailla plusieurs semaines avec les maîtres verriers vénitiens et y réalisa une quarantaine de parties en verre qu’elle reçues quelques semaines après son retour en Thaïlande. Voici ce qu’elle écrivit alors : « […] La beauté de la matière me saute aux yeux et à l’âme. […] Chaque bloc de verre me suggère une histoire, j’oublie mes intentions premières pour me centrer sur ce que cela me raconte aujourd’hui. Chaque pièce de verre me semble unique, chacune a sa propre histoire qui l’a amené là entre mes mains en ayant cette forme-là, cette transparence particulière, ces marques liées à la manipulation de la matière que j’ai souhaitées préserver lors de l’étape du polissage. Chaque sculpture portera en elle son histoire, la joie de la réalisation, de la découverte d’un nouvel univers. Je me laisse porter par ce que le verre me suggère pour compléter ma narration avec du bronze, un travail sur mesure pour donner une dimension supplémentaire à chacune de mes histoires. […] Il existe une idée de se centrer sur l’essentiel avec le verre. La réalité n’est pas ce qu’elle semble être, il y a quelque chose au-delà de la réalité, une dimension spirituelle presque sacrée. »
Elle nommera son travail avec le verre de Murano Tenth eonian initiative qui est l’anagramme de The Venetian initiation afin de renforcer le mystère que le résultat lui inspira et comme elle l’écrivit alors : « […] Tous ces matériaux sont des trompe-l’œil, des illusionnistes. Ils alimentent l’idée du labyrinthe où l’on perd ses repères. Ils ouvrent vers un monde imaginé, un monde inconnu dont on pressent l’existence. Ils sont des reflets changeants, troublants. ».