L'art du bronze
HORS DE « CHEZ NOUS » (texte de Philippe Staib en Mai 2012)
Val m’enchante et son évolution me passionne.
Regarder ses dernières pièces me pousse à essayer de comprendre ce qui fait sa force.
Force que nous sommes nombreux à ressentir quand j’observe l’engouement qui se développe autour de ses créations.
Je ne suis donc pas seul à la regarder avec grand intérêt. Pourquoi ?
Une réflexion sur l’art en général et la question maintenant éternelle de Paul Gauguin « Que sommes-nous ? D’ou venons-nous ? Et où allons-nous ? » ne me mène nulle part.
Sommes-nous tous face à un grand vide, sans passé commun, questionnant, cherchant ou nous pourrions prendre appui sur notre expérience et y nourrir notre différence. Ces sempiternelles questions peuvent s’enchainer dans un serpentin sans fin, nous pouvons tous nous y perdre et perdre ce que l’art vient faire dans notre existence.
Je préfère mille fois rester dans cette compréhension de l’art que Tàpies qui vient de nous quitter a donnée :
« L’œuvre d’art devrait être une chose, un objet investi par l’artiste d’une énergie mentale, d’une sorte de charge électrique qui, touchée par un spectateur à la sensibilité appropriée, déclenche des émotions déterminées »
Dans le travail de Val nous ressentons cette charge électrique qui interpelle nos émotions.
Energie mentale : Elle amène toute son expérience vécue avec sincérité: jeunesse à parcourir le monde, à regarder et croiser beaucoup d’environnements sociaux et culturels …. Puis un métier mangeur d’êtres humains qui demande une grande force et presse comme des citrons ceux qui y réussissent, … Tout cela nourrit une personnalité quand elle ne la détruit pas. Val s’est nourrie de cette confrontation avec une vie qui n’a pas été un long fleuve tranquille mais dont elle a su enrichir sa personnalité et son désir d’exister par elle même.
Charge électrique : Un jour, le contact avec la glaise a déclenché quelque chose qui se poursuit depuis dix années et n’est pas prêt de s’arrêter. Val s’exprime en façonnant des êtres et des situations, en les mettant dans un environnement à forte influence architecturale avec un œil qui n’est que le sien, riche de ce passé qu’elle ne contrôlait pas et qui la poussait en avant. Elle se déleste de ses visions dans la glaise ou la cire qui lui sert de terre créatrice et elle a cette incroyable chance, rêve de nombreux sculpteurs, de vivre une proximité rare avec une fonderie et ainsi de pouvoir suivre et maintenir ainsi cette charge électrique initiée lors de la création à travers toutes les étapes de reproduction du bronze. Il y a une ligne directe entre ce qu’elle perçoit, ressent et ce qui va sortir en métal.
Peu, très peu de sculpteurs ont eu cette aventure de maîtriser leur création jusqu’au métal. Elle en joue admirablement et cela aussi est un point important de son œuvre : rencontre improbable d’un être humain parfaitement authentique avec la terre puis le métal.
Reste le point fondamental de comprendre pourquoi tant de spectateurs à la « sensibilité appropriée » se regroupent autour de son œuvre.
A « Art Taipei », j’ai vu des gens arriver tôt le matin me disant : « depuis le temps que je cherche où acquérir une sculpture, j’ai enfin trouvé » : ils sont repartis avec « Les Mariés III ». A la « Shanghai Art Fair », un couple de malais me dit qu’ils ont fait le voyage en espérant trouver une pièce de Val, ils sont repartis avec « Parade ».
De nombreux autres exemples foisonnent dans ma tête.
Ou est l’explication ?
Sûrement pas dans une description de son art la replaçant dans un courant ou se réclamant de grands prédécesseurs.
Je crois plutôt que nous recevons la charge électrique générée par son énergie mentale à 100%. Energie non « enrichie » d’études artistiques pouvant se révéler étouffantes pour le jeune créateur, non « enrichie » de vénération pour un grand ancien qui influence mais parfois aussi emprisonne un jeune esprit créatif… C’est sa vie, son moi qui regarde le monde, elle nous dit ce qu’elle observe, ce qu’elle ressent avec son cœur. C’est cette simplicité, cette honnêteté et ce cœur ouvert sur le monde qui attire notre regard, fatigué de toutes les complications visuelles de notre civilisation de l’instant qui construit toutes sortes de schémas pour nous attirer à des fins commerciales ou politiques.
C’est la ligne directe entre son énergie mentale et la charge électrique qu’elle déploie dans son travail que nous percevons tous si bien.
Maintenant les années ont passé, mais son évolution a su garder cette ligne directe avec le spectateur.
Depuis trois années, Val s’aventure délibérément dans un univers plus large, l’univers de l’homme : caractère individuel qui nous parle de sa destinée, interaction des hommes entre eux dans une urbanité réinventée, interaction des hommes avec leur environnement. Extraordinaire aventure où peu d’artistes se sont aventurés. De « Urban Life » à « Home-Sweet-Home » puis l’exceptionnel « Ville Fantastique », ses pièces me font penser à la façon dont Frank Gehry parle de ses constructions, elles nous emmènent vers son futur.
Aujourd’hui, nous avons le privilège de passer par « Corridor » pour découvrir « Agora », « Le toit du Monde », « Walk the city » et « Urban Gathering ».
Cette fin 2011 et début 2012 sera certainement reconnue plus tard comme un grand moment de sa création. [ + ]
Ses travaux lui donnent une place unique dans la création sculpturale, ils trouvent leur équivalent avec les exceptionnelles demeures d’Etienne Martin ou avec les créations de Dubuffet « la tour aux figures » et « jardin d’hiver » où le spectateur peut évoluer. Val nous amène ses structures qu’elle habite de sa force, représentant l’équilibre fragile et l’incertitude sereine de nos destinées. Demain, je l’espère, ses structures seront à taille humaine (ou plus monumentales encore).
Avec cette énergie spontanée, instinctive que Val transfère à ses pièces, cette charge électrique qu’un chacun, « spectateur à la sensibilité appropriée », ressent en contact avec son travail, elle est familière de l’art brut. Peut-être même est-elle la première d’une génération d’artistes sculpteurs du vingt et unième siècle qui se réclamera un jour de l’art brut ou que des critiques d’art baptiseront ainsi.
J’aimerais y croire, car j’aime ce qu’elle fait et j’aimerais croire que en prenant cette direction l’art nous amènera de grands bonheurs.
Elle laisse chacun de nous interpréter comme un suprême test de Rorschach, ses représentations stylisées où son énergie mentale, transmise par une impulsion électrique unique, attire nos yeux comme quelque chose qui nous est très familier.
Maintenant je laisse la parole à tous les écrivains d’art pour évoquer ce qu’ils voient, car ils sont pour moi les figures de ce jeu de cartes entre la vie et nos rapports avec l’art sous toutes ses formes dans ce sublime test de Rorschach qu’est l’art contemporain.
Philippe Staib
Philippe Staib Gallery
Shanghai – Mai 2012